Théâtre - « Platonov » sous le feu des projecteurs

Cyril Teste et le collectif MxM mêlent à merveille théâtre et cinéma pour donner vie à une adaptation libre de « Platonov » de Tchekhov, « Sur l’autre rive ». Plongé dans une fête d’aujourd’hui, le spectateur vit, plein cadre, la descente aux enfers d’une élite en délitement.

Gros plan sur les préparatifs : Anna, une riche veuve italienne, a invité ses amis à faire la fête dans sa belle villa. Elle est filmée au plus près, caméra à l’épaule, comme dans un reportage de guerre. Quatre écrans vidéo occupent le devant de la scène, offrant une double perspective : celle d’un grand plateau de théâtre avec une foule joyeuse, et celle des visages en premier plan des protagonistes qui vont se livrer des combats sans merci.

Scène d’ouverture : en robe de soirée, Anna et ses proches sifflent des vodkas et rient aux éclats. Les tables sont dressées, la foule des convives arrive, un chanteur lâche quelques riffs de guitare électrique. Ami de toujours, Micha arrive enfin, en retard. La caméra surprend sa bouche qui grimace avant de sourire, comme un échauffement avant d’entrer en scène. Il paraît chaleureux et drôle, il est cynique et manipulateur. Son talent : séduire et humilier, ravir et détruire. Et la caméra surprend chaque scène avec une acuité décuplée par le grand écran : un désespéré qui s’amuse comme il peut, avec la « reine » Anna, ruinée et sans illusions, qui refuse joyeusement toute issue, financière ou conjugale.

Avec une caméra scalpel aux aguets de chaque chute, de chaque drame, un révélateur cinématographique de la part monstrueuse des personnages qui ne nous aurait pas frappé de prime abord, diluée dans cette foule en fête. Un hors-champ qui est la signature du collectif MXM, « noyau modulable d’artistes et de techniciens », qui explore l’intime et la fiction, notre relation à l’autre. Après « La Mouette » de Tchekhov créée en 2021, le metteur en scène Cyril Teste trace une ligne de vie avec « Platonov », une œuvre chorale qui déborde d’énergie, et pas seulement celle du désespoir.

Laurence De Schuytter