Rencontre avec Charles-Éloi Vial, prix Chateaubriand 2024

« Marie-Antoinette est une icône incomprise »

L’historien Charles-Éloi Vial a reçu le prix Chateaubriand 2024 pour Marie-Antoinette, une biographie intime qui fait la part entre la femme et le mythe entourant la dernière reine de France.

Pourquoi s’être penché sur ce personnage controversé ?

Son irruption lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques a rappelé qu’elle est universelle et continue de déchaîner les passions. Or, pour un biographe, il est bon que son sujet d’étude soit encore « vivace ». Au-delà de cette émotion qu’elle suscite, flottaient autour d’elle des légendes à déconstruire. Mon but n’était pas de l’accabler, ni de l’encenser, mais de révéler la vérité de son caractère. Marie-Antoinette, loin de la légende noire de « l’Autrichienne », est une icône incomprise. En revenant aux sources premières, j’ai voulu au bout de presque dix années de recherches m’écarter du mythe pour mieux faire ressortir l’importance de son rôle politique, qui a démarré dès le début des années 1780, et qui est allé croissant jusqu’à la Révolution.

Les sans-culottes l’accuseront d’être un agent double. À tort ou à raison ?

L’entourage de Louis XVI n'a pas mis longtemps à lui trouver un côté affairiste, puisqu'elle a un temps cherché à influencer son mari, en suivant notamment les conseils de sa mère Marie-Thérèse d’Autriche, en faveur de son pays d’origine. Cependant, on a beaucoup exagéré son influence et propagé beaucoup de fausses rumeurs sur son compte. S'il serait anachronique de la qualifier de « patriote », un terme à consonance républicaine, reste qu’elle a eu à cœur les intérêts de la France, mais une France telle qu’elle l’envisageait, autrement dit celle de l’Ancien Régime, donc catholique et royaliste. Globalement tenue pour responsable de toutes les décisions impopulaires prises par le roi, puis accusée de haute-trahison sous la Révolution, elle a surtout payé la défiance des Français vis-à-vis de l'alliance conclue entre Louis XV et la Maison de Habsbourg, l’ennemi héréditaire depuis Charles-Quint.

A-t-elle été aussi dépensière et sourde à la crise sociale qu’on a voulu le faire croire ?

« Nous régnons trop jeunes ». On prête à Marie-Antoinette cette phrase qui, même si elle n’était pas authentique, dirait tout de l’immaturité de son début de règne avec Louis XVI, marqué par des dépenses somptueuses en robe, en jeux d’argent, en bals, en fêtes... Reconnaissons qu’à la loupe de l’inflation, alors galopante, et avec l’archaïsme de la comptabilité royale, elle pouvait difficilement prendre conscience de l’ampleur des déficits. En mûrissant, la jeune fille frivole des débuts s’est même montrée plus économe qu’on ne l’a dit. Mais le mal était fait : l’opinion déjà peu disposée enrage avec « l’affaire du collier », le fameux bijou orné de 674 diamants. Piégée par Mme de La Motte, la fameuse aventurière qui dupe le cardinal de Rohan, c’est Marie-Antoinette qui se retrouve accusée d’avoir manœuvré pour l’obtenir aux frais de la Couronne...

Avait-elle seulement conscience de son impopularité ?

La reine finira par appréhender son rôle de bouc émissaire du mécontentement, de façon empirique seulement : « Mais que leur ai-je donc fait ? », aurait-elle demandé un jour de cérémonie, face à l'accueil glacial de ses sujets. Objectivement, Marie-Antoinette ne voyait pas ce qu’on pouvait lui reprocher, et aucun complot n'a été ourdi contre elle. Plus insidieux est l’air du temps, qui conduit à ce choc entre une société en effervescence et une monarchie dépassée, qui maîtrise mal ce qu’on appelle aujourd’hui la « communication politique ».

Quels rapports entretenait-elle avec Louis XVI ?

Leur union n’a jamais été un mariage d’amour mais le fruit de cette alliance diplomatique, scellée en 1756, quand le jeune Louis n’était âgé que de deux ans et Marie-Antoinette de quelques mois... Quoi qu’il en soit, on ne peut pas parler de couple fusionnel : les époux ne se comprennent pas, n’ont pas les mêmes centres d’intérêt et, au nom de l’étiquette, ne vivent pas ensemble non plus. Il faudra leur arrestation et leur captivité au Temple pour les voir se rapprocher dans l’angoisse de l’attente ; leur obsession étant de sauver leurs enfants, vis-à-vis desquels – de l'aveu même des révolutionnaires – ils passaient pour de bons parents.

Que sait-on finalement de son caractère ?

Marie-Antoinette pouvait être orgueilleuse, peut-être cassante par moment, mais en tant que reine de France (première puissance mondiale jadis, Ndlr), elle avait le droit d’exiger ce qui se faisait de mieux. J’ai découvert au fil de mes recherches une personnalité plus seule qu’on ne l’imagine, moins exubérante, avec une forme de timidité qu’elle devait partager avec Louis XVI. Si elle assistait quotidiennement à la messe, on ignore tout de ses convictions profondes. Ses lectures, des romans à l’eau de rose et très peu de classiques, disent qu’elle appréciait surtout la littérature légère des salons.

Son rejet des convenances faisait-il d’elle une femme moderne ?

Disons que cela ajoute aux nombreux paradoxes du personnage... Sur le plan politique, on peut la qualifier comme son mari de conservatrice, voire de réactionnaire par certains points. Sur le plan personnel, elle est le pur produit de son époque, qui globalement se détourne des exigences de la vie en public – on le voit avec les autres souverains d’Europe – pour leur préférer l’intimité de la vie privée et familiale.

On peut aussi la voir par le prisme de ses résidences successives...

Comme elle a cet intérêt pour les arts décoratifs, ses lieux de vie reflètent autant qu’ils ont accompagné son destin : ses appartements à Versailles, qu’elle remet en partie au goût du jour, le Petit Trianon, où elle crée un jardin anglais, le hameau de la Reine, où elle mène une vie intime avec ses amis à la campagne... Si on marche en accéléré jusqu’à la sinistre tour du Temple, on y retrouve la déchéance totale qui est la sienne et celle du roi qui, paradoxalement, forgera aussi sa gloire posthume.

Propos recueillis par Nicolas Gomont

Une cérémonie le 4 février à l’Institut de France

Charles-Éloi Vial, docteur en histoire et conservateur au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale, est spécialiste du XVIIIe siècle français. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont, chez Perrin, Les Derniers Feux de la monarchie, La Famille royale au Temple, La Cour au siècle des révolutions... Son prix lui sera remis le 4 février à 18 heures à l’Institut de France, à Paris. Créé par le Département en 1987, le prix Chateaubriand récompense un ouvrage de recherche historique ou d’histoire littéraire portant sur la période allant du siècle des Lumières jusqu’au milieu du XIXe siècle ou aborder des thèmes communs avec l’œuvre de Chateaubriand.

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