Suresnes Cités Danse 2025 - Le mouvement de la douceur

La 33e édition du festival Suresnes Cités Danse met en mouvement les corps et les cœurs dans un éloge du plaisir d’être ensemble. Du 10 janvier au 9 février.

Le festival qui a permis au hip-hop d’occuper le devant de la scène ne s’est jamais senti aussi libre. Danses contemporaines, danses urbaines, danses d’ici et d’ailleurs mais toujours d’aujourd’hui et de maintenant, 34 représentations – dont 4 créations, 10 productions et coproductions, plus de cent danseurs et chorégraphes – tout cela fusionne sans qu’on ait besoin de classer les genres dans des boîtes étiquetées. À l’exemple de Sarah Adjou, chorégraphe et danseuse de sa propre création Revue (1er et 2 février) et interprète d’Aesthetica de Patrice Meissirel (7 février). « Sarah Adjou possède dans son corps à la fois les danses urbaines, la danse contemporaine, le tango et les danses de cabaret, qu’elle a longtemps pratiquées, et encore ponctuellement aujourd’hui, pour “gagner sa vie” », explique Carolyn Occelli, directrice du Théâtre Jean-Vilar, dont c’est le troisième Suresnes Cités Danse. « Je lui ai proposé d’écrire et de danser un solo, avec sa grammaire chorégraphique contemporaine, qui traverserait ce passé de cabaret, en jouant de son côté festif. » Une électricité dans l’air du temps similaire à celle de ses consœurs Leïla Ka et Jann Gallois. « Ce sont des femmes chorégraphes qui transmettent quelque chose de l’époque sur le corps féminin dans la société. Elles travaillent beaucoup sur les techniques d’isolation de chaque partie d’un corps, soit comme un corps-machine, soit comme un corps brisé qui irait chercher dans la vitalité sa reconstruction. 

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JUSTE UN MOMENT. Chorégraphie et interprétation Christophe West et Gaël Grzeskowiak.

 

Parce que l’on passe par le corps, parce que l’on n’a pas la limitation des mots mais quelque chose de plus immédiat, de plus sensoriel, j’ai le sentiment que la danse est un véhicule merveilleux pour mettre en mouvement les cœurs.

Effet miroir

La fidélité aux artistes invités est une des fiertés du festival. D’un côté la création de nouveaux liens pour construire l’avenir : ainsi les frères Christian et François Ben Aïm qui, après Facéties en 2023, ouvrent l’édition 2025 avec – tout un programme ! – Tendre Colère (du 10 au 12 janvier) ; ou bien Allison Faye, adepte d’une danse physique comme un art martial, repérée au Détour Festival de Bruxelles (Bernard, 11 et 12 janvier). De l’autre, les compagnonnages au long cours. Parmi eux, Abou Lagraa revient cette année avec Carmen, une chorégraphie pour treize danseuses et danseurs (25 et 26 janvier). « Pour moi, déclare-t-il dans sa note d’intention, le personnage de Carmen n’est pas qu’un corps fantasmé, désiré par les hommes. Elle représente surtout la liberté. Et si, dans la version de Georges Bizet, sa liberté entraîne sa mort, il m’est insupportable d’accepter le féminicide de Carmen. » Aux yeux de notre siècle engagé dans l’élimination des violences à l’égard des femmes, Carmen est en effet l’illustration d’un tragique raccourci : il l’aime, elle le quitte, il la tue… « Abou Lagraa a travaillé avec des danseuses et danseurs du ballet l’Opéra de Tunis, rappelle la directrice du festival ; or, être danseur en Tunisie, c’est difficile, être danseuse, ça l’est encore plus! Il a fait se rencontrer sa manière à lui et celle de ses interprètes, pour amener des identités multiples à cohabiter. J’avais ce désir d’inviter de grandes troupes dans notre société abîmée par les communautarismes et le repli identitaire. Nos théâtres font partie des derniers lieux collectifs pacifiés, et pour ressentir ce collectif entre spectateurs et spectatrices, rien de plus beau que d’avoir un effet miroir avec un collectif sur le plateau. »

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(Photo de gauche) Sarah Adjou, chorégraphe et danseuses, sera présente avec sa propre création,
Revue et sera aussi  l'interprète d'Aesthetica de Patrice Meissirel.  Photo Isshogai  / (Photo de droite)  Abou Lagraa revient avec Carmen, une chorégraphie pour treize danseuses et danseurs Photo David Bonnet 
 

Une déclaration d’amour

Comme pour mieux filtrer l’air du temps de sa toxicité, Suresnes Cités Danse s’est placé dans le sillage d’une citation de la légendaire chorégraphe allemande Pina Bausch : « Longtemps, j’ai pensé que le rôle de l’artiste était de secouer le public. Aujourd’hui, je veux lui offrir sur scène ce que le monde, devenu trop dur, ne lui donne plus : des moments d’amour pur. » La violence et la subversion, Diego “Odd Sweet” Dolciami les aborde dans _Ground (à prononcer « underground », 18 et 19 janvier, en coproduction avec L’Avant Seine de Colombes) sous l’angle des danses de club – le swing, la house – devenues cultures populaires à part entière. Être ensemble, public et danseurs, c’est découvrir sur le floor de la salle des fêtes de Suresnes le monde spectaculaire du battle hip-hop (Battle SCD #3 avec la compagnie Flies, 8 février). C’est même danser les uns avec les autres lors du Bal Swing avec Jean-Charles Zambo en maître de cérémonie (19 janvier, salle des fêtes), c’est se lancer en famille dans le dernier Giro di Pista conçu par Ambra Senatore et Marc Lacourt (9 février). « La déclaration d’amour prend à contrepied notre époque inquiète, violente, guerrière, souligne Carolyn Occelli. Je pense que l’art, la culture appartiennent au registre du soin. Après, il y a deux possibilités. Soit on présente sur scène la brutalité du monde pour essayer de la penser différemment, ce qui me paraît évidemment important. Mais on peut aussi la transcender par la douceur, par l’amour. Et je trouve que la danse est un bel endroit pour le faire. »

Didier Lamare pour HDS, le magazine du Département n°3 janvier / février 2025 

Suresnes Cités Danse # 33, du 10 janvier au 9 février à Suresnes.
Le Théâtre de Suresnes Jean-Vilar a obtenu le label « Scène conventionnée d’intérêt national art et création pour la danse » pour la période 2024-2027.
www.theatre-suresnes.fr/suresnes-cites-danse