Portrait : Paul-Antoine Bénos-Djian, contre-ténor
Paul-Antoine Bénos-Djian, le jeune contre-ténor passé par l’académie Jaroussky est l’un des quatre solistes du Messie de Haendel dirigé par Laurence Equilbey les 5 et 6 décembre à La Seine Musicale.
On imaginait naguère qu’on devenait musicien classique au nom d’un héritage familial. Paul-Antoine Bénos-Djian, 33 ans, n’est pas un enfant de la balle, ce qui ne l’empêche pas de connaître un début de carrière dynamique - normal pour quelqu’un qui était, à l’origine, percussionniste … Juste un grand-père, autodidacte du piano et de l’accordéon, qui remarque la sensibilité à la musique du gamin de huit ans. En route pour le Conservatoire de Montpellier, dix ans de formation instrumentale et la pratique chorale au sein des ensembles vocaux. « Jusqu’à mes 20 ans, le chant apparaissait surtout comme une discipline plaisir, les percussions demeuraient ma discipline principale. À 18 ans, je n’avais pas encore réellement suivi de cours de chant. »
« La scène autorise le chanteur, par le théâtre, par le corps, par l’expression du texte, à se défaire de sa voix. Incarner un rôle permet de s’accomplir dans l’émotion de l’instant. »
La voix du baroque
Les choses s’accélèrent quand, après la mue qui ouvre toujours une brèche dans le parcours d’un chanteur, on l’encourage à travailler le registre de fausset de la voix de contre-ténor qui évoque - pour le dire vite - la voix d’alto féminine. La musique baroque en est le domaine d’élection, Paul-Antoine Bénos-Djian part en 2012 l’explorer au Centre de musique baroque de Versailles. Il y découvre la musique du Grand Siècle à la française et la voix spécifique de haute-contre, un ténor très aérien, qui n’est pas exactement la sienne mais qui enrichit sa tessiture dans les graves. Deux ans plus tard, c’est l’entrée au Conservatoire national supérieur de Paris où sa curiosité gourmande lui fait pousser toutes les portes de l’expression lyrique. Quand certains contre-ténors baignent dans les enregistrements pionniers d’Alfred Deller et de René Jacobs, Paul-Antoine saute les générations et se souvient évidemment de Philippe Jaroussky : « Je le découvre à la télévision quand il reçoit, en 2007, sa première Victoire de la musique classique comme artiste lyrique de l’année. Cette voix cristalline, cette présence scénique juvénile, ce visage angélique où transparaît une certaine atemporalité, c’est un choc ! »
Lumière et sourire
En 2018, Paul-Antoine Bénos-Djian fait partie de la deuxième promotion, la « Vivaldi », des Jeunes Talents de l’Académie Jaroussky. Et depuis, la suite se déroule souvent dans des décors de théâtre. « Chanteur est un métier très autocentré où l’on doit être attentif à son corps. La scène nous permet de sortir un peu de nous-mêmes ». Quand on lui suggère, entre deux représentations à l’Opéra de Rennes du Couronnement de Poppée de Monteverdi, que sa voix - et peut-être sa personnalité - n’est pas de celles qui se complaisent dans les gouffres ténébreux, il s’en amuse : « Sur ma partition du Couronnement, j’ai noté “sourire” ! C’est un conseil de Leonardo García Alarcón que m’ont aussi beaucoup prodigué Damien Guillon et Philippe Jaroussky. Je pense que le timbre de ma voix - certains parlent de chaleur, d’autres de rondeur, ce qui est pour moi un magnifique compliment - m’oblige à jongler avec la mélancolie inhérente à ce timbre-là et la nécessité de conserver une espèce de lumière dans les aigus. Pour faire entendre dans ces rôles de Monteverdi ou de Haendel, l’énergie, l’animalité, le feu, il faut penser au sourire. »
Une musique vivante
En décembre à La Seine Musicale, Paul-Antoine Bénos-Djian intègre le quatuor de solistes du Messie de Haendel - en compagnie, entre autres, de la grande et discrète Sandrine Piau - avec le chœur Accentus et Insula orchestra sous la direction de Laurence Equilbey. S’il a déjà travaillé Haendel avec elle, ce sera son premier Messie. Pas le genre monument en péril, mais la possibilité de faire accéder le grand public à un univers bien vivant. « Selon moi, Haendel est le plus grand compositeur baroque pour la voix. Dans toute son œuvre, Le Messie comme les autres oratorios et les opéras dont j’ai eu la chance d’interpréter certains rôles, pour ne parler que de la tessiture de contre-ténor, il y a une espèce d’évidence de l’écriture vocale. Ce qui n’est pas forcément le cas chez Bach, dont l’écriture, beaucoup plus instrumentale, est redoutable pour les chanteurs. Haendel a une approche naturelle, il n’a pas besoin de grand-chose pour rendre compte d’une émotion universelle et intemporelle. Si on le réorchestrait à la sauce pop, ça pourrait le faire ! » Et de souligner le paradoxe qui conduit certains à croire que la musique classique est un domaine réservé, pour ne pas dire une réserve poussiéreuse. « La musique dite classique est en perpétuelle évolution depuis le Moyen Âge. Alors que la musique pop ou la variété jouent sur un prisme de quatre ou cinq accords qui restent inchangés depuis bientôt une centaine d’années… C’est très drôle de se dire que la musique dite moderne s’appuie sur des schémas plutôt archaïques. » Tout le contraire finalement du Messie, moderne pour l’éternité.
Didier Lamare pour HDS.mag n° 91 novembre-décembre 2023
Le Messie de Haendel, La Seine Musicale à Boulogne-Billancourt, le 5 décembre à 20 h, le 6 décembre à 19 h 30 |