Nanterre-Amandiers, douze jeunes comédiens en formation
Episode 2 - L’épique épopée de la Belle Troupe
Après « L’Atelier Molière », la Belle Troupe, l’école de théâtre du CDN Nanterre-Amandiers, se lance dans « L’errance est notre vie », un spectacle itinérant qui circule du théâtre à la maison d’arrêt de Nanterre en passant par des lycées, conservatoire ou médiathèque.
Sur scène, rien. Pas de lumière, ni de décors, juste un tréteau de bois et un portant avec quelques costumes. Les apprentis comédiens de l’atelier théâtre initié par le directeur de Nanterre-Amandiers, Christophe Rauck, sont assis sur des chaises et regardent les spectateurs rentrer. Une comédienne se lance dans un monologue sur l’errance inhérente à son métier, les théâtres qui s’enchaînent, les salles des fêtes improbables, les parkings, installer le décor, le ranger, arriver, partir, toujours sur la route. Bref, le titre de la pièce : « L’Errance est notre vie ».
Le metteur en scène – le “ boss” arrive sur scène, leur donne une heure pour raconter une épopée théâtrale de onze heures, « Le Nid de cendres » présenté – en vrai - l’été dernier au Festival d’Avignon, distribue les rôles à la volée, rabroue les mécontents et c’est parti. Le temps presse : une heure, c’est court. Les comédiens voudraient cinq heures, des scènes longues, supplient. « Non, le contrat, c’est le contrat ! », leur hurle le chef de troupe. Une jeune femme attrape une couronne, c’est elle le roi. L’histoire commence, la reine va accoucher, l’architecte et l’astrologue se succèdent, tandis qu’à l’autre bout du monde dans une civilisation qui se meurt, une autre femme va accoucher. Deux nouveau-nés, Anne et Gabriel, qui ont pour destinée de réunir les deux mondes pour les sauver. En une heure, le petit tréteau de bois devient château, bateau, hôpital, roulotte, océan. On est happé par le drame, l’humour, les naissances, les deuils, le chagrin, l’espoir, les destinées contrariées.
Mise en abyme
Itinérant, le spectacle va à la rencontre des publics, tous, même ceux qui ne vont pas au théâtre : à la maison d’arrêt de Nanterre, dans les lycées, à la médiathèque…. « Je suis choquée, tout est faux mais ça paraît si vrai », a réagi le 2 février dernier une spectatrice de l’Institut médico-éducatif Balzac de Nanterre. « Ces paroles, c’est la définition du théâtre, se réjouit l’auteur et metteur en scène, Simon Falguières. Des détenus sont venus également me voir après la représentation à la maison d’arrêt pour me parler des deux frères et de leur père…C’est l’émotion qui fonde le théâtre. »
Sa rencontre avec La Belle Troupe s’est faite en deux temps : l’an dernier avec un stage de trois semaines au Théâtre de Gennevilliers sur une version de cinq heures du « Nid des Cendres », et cette année, avec la proposition de Christophe Rauck de travailler à l’inverse sur une version très courte. « Avec ces deux formes aussi éloignées, ce fut l’occasion de travailler sur le rythme, l’intensité, le rapport aux personnages. La meilleure façon de respecter un cahier des charges aussi serré, c’était aussi de s’en amuser. C’était passionnant pour les comédiens, ils ont montré beaucoup de joie à jouer, explique Simon Falguières. Avec ces petites formes, aussi inspirées de « L’Impromptu » de Molière, l’occasion leur a été donnée de parler de leur métier. » Une mise en abyme tout aussi réjouissante pour le spectateur. Et une belle déclaration d’amour au théâtre.
Laurence De Schuytter
>> Les dates
. Le 9 février, 19h30, à l’université Paris-X-Nanterre, amphithéâtre Bernard-Marie-Koltès
Au théâtre Nanterre-Amandiers du 11 au 20 mai 2023. |
Photos libres de droit de L’errance © Géraldine Aresteanu
Episode 1 - Les jeunes Molière à la conquête du public
Les 5, 6 et 7 janvier 2023, Nanterre-Amandiers présentait L’Atelier Molière, le spectacle de douze jeunes comédiens en formation pour deux ans au sein du centre dramatique national. Bluffant.
Pull blanc à col roulé blanc et pantalon casual, Dom Juan débarque sur scène avec la beauté et l’arrogance de ses 20 ans, et aussi, cette violence liée à sa soif de conquête qui donne la noirceur requise à son personnage. Les valets, oscillant entre effroi et soumission, et les paysannes aussi naïves qu’intéressées, vite conquises et promptes à trahir leurs vœux, sont tout aussi hauts en couleurs, drôles et épiques. Donna Elvira est également parfaite en femme blessée déversant une rage froide et maîtrisée. L’Atelier Molière, ce sont deux extraits de pièces, Dom Juanet Georges Dandin, qui s’enchaînent, avec les quatre rôles principaux interprétés chacun par deux comédiens successifs sans que cela ne trouble le spectacle. Quelques chaises, tables, canapé suffisent à un décor minimaliste. On est emporté par les dialogues de Molière, toujours percutants – sur le libertinage, l’union sans consentement, la liberté des femmes… -, par le phrasé des comédiens, leur scansion, leur déplacement dans l’espace, leur incarnation physique où transparaissent si bien le caractère et la classe sociale des rôles, dans les accents du texte comme dans l’attitude non verbale. Tout est juste.
Jouer avec le corps
« J’aime les métiers, les outils, je suis né avec, on m’a appris à souder, à scier droit, à ne pas casser les lames de scie. On m’a appris que le geste et les mots étaient nécessaires à la réussite de l’œuvre », racontait Christophe Rauck, actuel directeur actuel du théâtre, lors de son portrait dans le HDS.mag n°78 (septembre-octobre 2021). Et c’est l’ouvrage qu’il tisse, dont on voit l’étoffe ici. C’est lui qui, sur les traces de Patrice Chéreau, est à l’origine de cette formation professionnalisante au métier d’acteur initiée en 2021, avec la comédienne et metteur en scène Cécile Garcia Fogel. « Jouer s’apprend, c’est un métier et un métier nécessite de manier des outils, de comprendre des mots, de connaître des gestes pour préciser, aiguiser sa pensée et nourrir son instinct, indique le descriptif de la formation. Il y a des chemins à connaître, des portes à ouvrir avec des clés que l’on trouve par le biais d’un enseignement concret. »
De je au jeu
Incarner les situations, jouer avec les contrastes de la voix, placer son corps : c’est exactement le travail que porte Cécile Garcia Fogel, avec l’aide du chorégraphe Philippe Jamet et du haute-contre Jean-François Lombard, dans la mise en scène de L’Atelier Molière, stage de deuxième année dédié à la rencontre du public. Après Les Croquis de Nanterre et d’ailleurs, premier travail présenté aux spectateurs en octobre 2022, les jeunes comédiens de la Belle Troupe nous surprennent par la maturité de leur jeu. À suivre donc, avec la grande attention.
Laurence De Schuytter
Crédit photos : Géraldine Aresteanu |
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