Douceur et délicatesse ne correspondent pas forcément à l’idée que l’on se fait d’un bâtiment militaire et pourtant tel est le propos de Rudy Ricciotti à la caserne Sully de Saint-Cloud, construite au début du XIXe siècle et futur musée d’art et de civilisation consacré au Grand Siècle sur un site de près de deux hectares appelé à devenir plus beau, plus accessible et moins dense à l’horizon 2026. Avec le groupement mené par l'entreprise Fayat, l’architecte a été choisi par le Département pour ce projet. Connu pour avoir réalisé le département des arts au musée du Louvre ou encore le MuCEM (Musée des civilisations d’Europe et de Méditerranée) de Marseille, il n’est novice ni en matière de musées, ni - et c’est sans doute plus rare - de réhabilitation de caserne. « C’est un grand et gros projet, mais un projet délicat. On imagine qu’une caserne est une épave de mémoire, sans ambition esthétique, je ne suis pas d’accord : il y a dans ce bâtiment une présence que l’on va garder et que l’on va faire parler », explique-t-il.
La présentation du futur écrin du musée a eu lieu sur le site même de la caserne Sully, où ce grand projet culturel avait été annoncé en juin 2019. Il s’agit là d’une étape majeure après la signature en septembre 2020 de la donation Pierre Rosenberg au Département, une collection composée de 3 500 dessins et près de 690 tableaux, allant du XVIe siècle au milieu du XXe siècle. « Le musée du Grand Siècle est le dernier grand projet de Patrick Devedjian, qu’il nous appartient de mener à son terme, rappelle Georges Siffredi. Je suis persuadé que ce choix architectural, audacieux et respectueux du site est à la hauteur de l’idée qu’il se faisait de ce projet hors norme : il est à l’image de cet ambitieux projet culturel : ouvert, généreux, lumineux ».
Transformer sans dénaturer
La caserne Sully, implantée dans le bas du domaine national de Saint-Cloud, ancien domaine royal duquel la parcelle a été détachée en 1825, est structurée par un grand bâtiment en L construit sous Charles X aux lignes pures en accord avec le Grand Siècle et par un pavillon des Officiers, dessiné dans le même style sous le Second Empire. « Le Département a souhaité réhabiliter des deux bâtiments comme des monuments historiques, bien qu’ils ne soient pas protégés », explique Alexandre Gady, directeur de la mission de préfiguration du musée. À l’extérieur les façades seront ravalées ; à l’intérieur du bâtiment Charles X les élégants piliers et arcades en pierre des anciennes écuries seront conservés. Le travail de l’architecte entre ensuite en jeu. La façade côté Seine, bordée par une terrasse accessible au public, sera ainsi traversée par un grand vestibule permettant de rejoindre le hall d’accueil dans la petite aile, qui s’ouvrira sur la cour d’honneur.
Dans l’angle du bâtiment principal, Rudy Ricciotti a dessiné un escalier monumental à double révolution, dont les volées s’entrelaceront autour du vide, arête desservant 7 400 m2 d’espaces muséaux : d’une part le cabinet de collectionneurs, au rez-de-chaussée et à l’entresol, lieu intimiste où découvrir la collection Rosenberg dans son ensemble. D’autre part les vingt-trois salles du musée du Grand Siècle à proprement parler, qui jouiront d’une grande hauteur sous plafond grâce à la suppression de deux étages sur les quatre existants – les chambres des militaires étaient exiguës ! D’Henri IV à la Régence, le parcours, thématique et pédagogique, présentera « sans glorification ni dénigrement », la civilisation et l’art du XVIIe siècle français selon une approche pluridisciplinaire mêlant peinture, sculpture, mobiliers, objets d’art, arts graphiques… Quant au Pavillon des officiers, il abritera le centre de recherche Nicolas-Poussin dédié à l’étude du Grand Siècle sous tous les angles, avec son cabinet de dessins, sa bibliothèque ainsi que des espaces de travail et un auditorium.
Belvédère contemporain
Au sud-ouest, la destruction du bâtiment dits des Allemands, sans intérêt patrimonial particulier, permettra de faire respirer le site, de dégager des vues et de libérer le terrain nécessaire à la construction du Belvédère. Donnant à la fois sur la Seine et sur le parc de Saint-Cloud, ce pavillon contemporain signé Rudy Ricciotti aux allures de pergola, enveloppé et soutenu par de grands arbres ouvragés en béton blanc, dialoguera avec les volumes imposants de la caserne. « C’est un projet délicat et féminin qui cache ses muscles et ses efforts. Pour arriver à autant de grâce il a fallu un combat scientifique et mathématique : ce béton fibré ultraperformant appelle tout le savoir-faire de l’ingénierie française au plus haut niveau », explique l'architecte. Le Belvédère accueillera en hauteur restaurant gastronomique et cafétéria et desservira par une galerie, ornée de péristyles rappelant le Petit Trianon, une série d’espaces situés « sous la ligne de flottaison en sous-sol » : expositions temporaires, espaces immersifs proposant reconstitutions 3D ou incursions numériques dans le détail des tableaux, salle de médiation, auditorium...
Dans la continuité des collections, cette partie sud du site accueillera une série de jardins, représentatifs des centres d’intérêt du Grand Siècle tels que l’exploration naturaliste - jardin à la française, potager, curiosité botaniques, planches de la révolution agricole, jardin des agrumes – tandis que la connexion du site avec le parc de Saint-Cloud sera rétablie grâce à deux nouveaux accès. Au nord la place Clemenceau sera aménagée de manière à former un parvis piéton, marquant l’entrée du musée depuis la ville dans le cadre de ce vaste projet à la fois architectural, paysager et urbain. « Ce musée, grand équipement culturel de cette mandature viendra enrichir l’offre de la Vallée de la Culture que de grands noms de l’architecture ont déjà marqué de leur empreinte, rappelle Georges Siffredi. Il est un témoignage supplémentaire de notre volonté de transmettre la culture au plus grand nombre. » Le chantier prévu pour durer trois ans ne débutera toutefois qu’en mars prochain, après des fouilles archéologiques pour sonder les profondeurs de l’histoire du site, habité depuis le Moyen-Âge puis transformé en jardin à l’âge moderne. Cette mission confiée à l’EPI 78-92 couvrira toute la caserne, bâtiment compris tandis que des visites seront proposées au public à l’occasion des journées européennes du patrimoine, les 17 et 18 septembre prochains.