L’engagement citoyen est-il en recul ? La montée de l’abstention - notamment chez les jeunes, et en particulier dans les classes populaires et les moins diplômés -, ou le désengagement dans de grandes associations qui peinent à recruter pourraient le faire croire. Mais ce n’est pas le cas : « Les manifestations pour le climat, les pétitions en ligne, l’implication sur les réseaux sociaux, mais aussi les projets d’entreprises à impact social ou ceux portés dans le cadre de budgets participatifs ou de nos établissements scolaires sont autant d’initiatives citoyennes que nous rencontrons au quotidien, et notamment dans les Hauts-de-Seine, observe Nathalie Léandri, vice-présidente chargée de l’éducation, qui a ouvert le débat de cet entretien Albert-Kahn le 13 décembre dernier. Notre rôle, en tant qu’élus, mais aussi en tant que collectivité locale (…), c’est bien de permettre à tous ceux qui veulent s’exprimer et s’investir de le faire, de vivifier cet engagement et de lui donner une issue positive en termes d’action publique. » L’élue a ainsi rappelé les actions du Département avec les « Curious Lab Jeunesse et Citoyenneté » au collège, les « Initiatives Jeunes Solidaires » et « Mobilité Solidaire » (500 projets portés par 1 900 jeunes altoséquanais), les Curious Lab étudiants, laboratoire de co-construction territoriale, ou encore l’accueil de soixante jeunes en service civique ou en service national universel (SNU) dans les services du Département. « Nous entendons ces nouvelles formes d’engagement, notamment en ligne, et nous y sommes sensibles, a -t-elle précisé. Et il est essentiel de se tourner davantage vers cette démocratie de proximité, et pas seulement pendant les crises. »
Valoriser tous les types d'engagement
Anne Muxel, directrice déléguée du Cevipof et directrice de recherches au CNRS en sociologie politique, connue pour ses publications sur les engagements de la jeunesse*, en a dressé un panorama : « Nous sommes dans un contexte de dilution des repères et d’un affaiblissement des allégeances sociales, culturelles et politiques, avec la fin, après-guerre, des grands collectifs et des grandes idéologies et la montée de l’individuation. On assiste à une mutation et une reconfiguration des valeurs avec un militantisme plus émotionnel, une mobilisation “désirante”. Plus pragmatiques, les jeunes ont besoin de considérer l’efficacité de leurs actions, avec une temporalité d’engagements plus courte, une forte dépendance aux outils numériques et de nouvelles articulations entre sphère privée et publique, avec un rapport déceptif à la démocratie et une défiance institutionnelle. » Les préoccupations des citoyens se sont ainsi resserrées autour de thématiques moins clivées politiquement : le pouvoir d’achat, la santé, l’environnement…
Frédérique Villalon, déléguée générale, Anouk Chômienne et Gabriel Maître, chargés d’études au sein du think tank « Décider Ensemble », ont exposé leurs travaux sur le statut citoyen – avec les chartes des droits de l’Homme et des droits de l’enfant, les différentes jeunesses – rurales/urbaines, adolescents/jeunes adultes – et l’engagement des jeunes en France et en Europe. Ils ont évoqué les limites des conseils des jeunes, rarement associés aux décisions, des services civiques et du SNU qui n’intègrent que les diplômés : « Il y a un fossé énorme dans la jeunesse, ont-ils conclu. On a besoin de changer de paradigme et de valoriser tous les types d’engagement, y compris sportif ou religieux, et développer le « aller vers » plutôt que de multiplier les initiatives institutionnelles. »
« Construire un cap désirable »
Julien Vidal, auteur engagé dans l’écocitoyenneté, s’est fait connaître en 2016 avec les podcasts « ça commence par moi » qui ont eu beaucoup de succès sur les réseaux sociaux. Il est venu parler de son parcours, de son engagement dans les bidonvilles de Colombie et des Philippines à ses ateliers et son livre – 2030 Glorieuses. Utopies vivantes** - où il propose de rêver à un monde post carbone désirable, qui respecte les limites planétaires. « Nous sommes une espèce fabulatrice, c’est en se racontant des histoires positives qu’on arrivera à faire advenir un monde meilleur, pas en commençant par dire qu’on a atteint cette année +1.5° de réchauffement climatique et que l’avenir est sombre. Dans le militantisme, on est souvent contre : les inégalités, les super profits, les pollutions… C’est difficile de rester productif sur le long terme avec cette approche : la colère nous fane. Je propose de reprendre le pouvoir sur les 72 000 heures qu’on passe à travailler, de se concentrer sur les contributions positives, de faire connaître les métiers qui regénère le vivant, arrêter l’injonction à l’efficacité, ralentir, développer d’autres croissances (santé…) que la productivité. Bref : reprendre notre place dans le vivant qui n’attend que nous. »
Florence Sylvestre, directrice de l’éducation et des projets innovants au Département, a clos le colloque en présentant les multiples dispositifs initiés par la collectivité des Hauts-de-Seine : les médiateurs éducatifs, le challenge Cube.s, O’Lab Citoyens, les Rencontres de l’éloquence, les Méddailles du développement durable, Ermès, les ateliers pédagogiques… Son mantra : « La citoyenneté, cela s’apprend, et le plus tôt possible. L’engagement est un facteur de cohésion sociale, un catalyseur d’actions collectives. Les collèges sont un terreau fertile, il faut essaimer. »
*Anne Muxel et Martial Foucault : Une jeunesse engagée, publié aux Presses de Science Po, 2022.
** www.2030glorieuses.org : comment devenir éco délégué et animer un « voyage » ?
« Les nouveaux ressorts de l’engagement citoyen », Entretien Albert-Kahn, laboratoire d’innovation publique, le 13 décembre au musée Albert-Kahn à Boulogne.
>> Replay en podcast : eak.hauts-de-seine.fr