West Coast Story : rencontre avec le chorégraphe Benjamin Millepied
Le chorégraphe Benjamin Millepied vient en France présenter sa vision de Roméo et Juliette . Un des temps forts de la saison en création mondiale à La Seine Musicale, initialement prévu en janvier, le spectacle est reporté du 15 au 24 septembre en raison des restrictions liée au Covid-19.
Né il y a 44 ans à Bordeaux, sa petite enfance nourrie des rythmes du Sénégal, Benjamin Millepied chemine au sommet de la danse classique sur une ligne de crête entre la France – le Conservatoire national supérieur de Lyon où il s’est formé, l’Opéra de Paris dont il a été directeur de la danse – et les États-Unis : étoile au New York City Ballet, il est le fondateur du LA Dance Project. Un danseur né qui se révèle cinéaste, découvert en chorégraphe par le grand public peu coutumier de l’univers du ballet dans le film Black Swan. À Los Angeles où il réside, le Français a travaillé avec sa compagnie les corps et leurs images dans une nouvelle production du Roméo et Juliette de Prokofiev d’après Shakespeare, l’un des plus célèbres ballets du XXe siècle : « En exagérant un peu, c’est presque de la musique de Tex Avery, une musique très “cartoon” ! J’ai longtemps résisté à l’idée de la chorégraphier. Au début, j’y ai d’ailleurs plutôt pensé comme une formidable musique de film, j’étais intéressé par l’idée de retranscrire le propos de façon contemporaine au cinéma. »
C’est cette forme hybride, retardée deux fois par la pandémie, que l’on découvrira en création mondiale à La Seine Musicale. Un moment exceptionnel de la saison, combinant sur l’immense plateau de la Grande Seine les attraits du spectacle vivant et les sortilèges du cinéma. Certaines séquences filmées à Los Angeles servent de décor et d’atmosphère ; les autres seront captées en direct et retransmises sur un écran géant, sorte de double numérique de l’espace physique où évoluent les danseurs : « Roméo et Juliette est conçu comme une suite, des scènes de danse que l’on vit en direct sur le plateau et des moments où la danse se transforme en cinéma devant les yeux du spectateur. Il y a carrément des scènes qui quittent le plateau et deviennent du cinéma en direct dans les coursives, les jardins… C’est un moyen de faire vivre l’histoire de façon à ce qu’elle fonctionne, qu’elle soit cohérente. Dans la forme du ballet, quand on raconte des histoires, soit l’on va vers des choses très symboliques, soit dans une façon XIXe de pantomime. Même si j’ai plaisir à aller voir un ballet historique, je suis toujours intéressé par une forme de modernité. Arriver à réunir les choses de manière cohérente, narrative, utiliser les espaces, les corps, la lumière, les spectateurs, c’est un vrai bonheur. »
Classique et moderne
En explorant à travers la caméra des espaces en dehors de la scène, le Roméo et Juliette de Benjamin Millepied propose un éclairage unique sur les lieux de spectacle qui l’accueilleront. Chaque spectateur assistera ainsi à une représentation différente, par l’environnement et l’incarnation du couple mythique. Trois distributions sont annoncées : une qui se fond dans le creuset historique de Shakespeare, avec Janie Taylor en Juliette et David Freeland en Roméo, les autres associant deux hommes et deux femmes que l’amour impossible conduira à la mort. « Je ne suis pas du tout en train de casser des codes, mais faire une production de Roméo et Juliette extrêmement classique et la proposer simplement avec un couple homme-femme, cela semble ridicule aujourd’hui. On ne peut pas ne pas donner l’opportunité à deux hommes ou à deux femmes de danser cette histoire. »
Pour un chorégraphe passionné de cinéma imaginant aux États-Unis un nouveau Roméo et Juliette, le lien avec West Side Story - qui en est le décalque américain dans les années cinquante - est évident ; d’autant que le danseur Millepied a beaucoup interprété à New York la chorégraphie de Jerome Robbins sur la musique de Leonard Bernstein. « West Side Story nourrit l’imaginaire, c’est inévitable. Et c’est très intéressant de se demander dans quelle modernité Robbins approcherait quelque chose comme ça aujourd’hui au cinéma ? » Cette modernité revendiquée de Benjamin Millepied tient à son regard, affûté et énergique, posé sur l’art de la danse : « J’ai une approche à la fois classique et contemporaine, j’essaie de continuer à faire vivre une danse qui a des codes, une certaine discipline architecturale. Comment les corps s’expriment à travers la musique, le phrasé, comment exprimer les sons, l’espace, la relation avec les uns et les autres. Je suis avant tout quelqu’un qui aime le mouvement, la virtuosité du danseur dans le mouvement, sa liberté dans le mouvement. »
Didier Lamare pour HDS.Mag n° 79 - Novembre-Décembre 2021