Portrait : Amalia Salle, chorégraphe
Amalia Salle
Début 2023, la jeune chorégraphe était présente à Suresnes Cité Danse avec Les Affranchies, création "Cité Danse Connexions", mêlant l’énergie du hip hop à la danse contemporaine pour dire toute la nécessité et la difficulté d’être soi.
Avec ses Affranchies elle occupera le plateau pendant une heure, autrement dit une éternité. « C’est un travail d’un an. J’ai hâte d’en discuter avec le public, de lire des critiques et de me confronter à ce monde professionnel », confie Amalia Salle. Du plus profond d’elle-même, la trentenaire puise trois adjectifs pour décrire sa danse et cette première grande pièce. Honnête pour commencer : « je ne cherche pas à faire quelque chose de joli, mais quelque chose qui sort des entrailles. » Bouillonnante, ensuite : c’est un « concentré de musicalité et d’énergie » où le geste est à l’affût de la note et de la percussion. Recueillie, enfin, dans la mesure où « l’émotion fait naître chaque mouvement ».
J’ai trouvé ma veine créatrice au fur et à mesure mais je pense que si j’avais eu un parcours plus “académique”, j’aurais eu accès à ce métier plus tôt et, surtout, à cette vision du métier.
Chemin commercial
Lycéenne, Amalia était bonne élève, aimant « les arts plastiques, la peinture et écrire » tout en se rêvant chirurgienne. Le côté explosif de la danse hip-hop, découverte à dix-sept ans, l’expérience communautaire du crew ont dynamité ces plans. Après le bac, elle prend le temps de s’ouvrir à d’autres styles au sein d’une académie pluridisciplinaire : classique, modern jazz, contemporain sont autant de « petites graines » qui ont éclos ensuite. En 2008, « ciao Milan » où elle était arrivée d’Argentine à l’âge de cinq ans, et « bonjour Paris » où « le niveau de la scène hip-hop était incroyable ». Elle se forme sans relâche et sort de sa « zone de confort », intégrant par exemple une compagnie de street jazz, ce qui l’emmène « en porte-jarretelle, petite jupette et chemisier » jusqu’en demi-finale de l’émission « La France a un incroyable talent ». « Ce n’était pas du tout “moi” mais c’était une belle expérience ! » Enseignante, elle fonde en 2014 l’école et le festival de danses urbaines Paris Can Dance et en 2017 on la retrouve au sein du jury de World of Dance France. Sur « ce chemin commercial où il faut être entrepreneur de soi-même », cette hyperactive ne pouvait faire l’impasse sur les réseaux sociaux. Vitrines de ses inspirations chorégraphiques - « des vidéos d’une à quatre minutes max » - ils la font connaître sans qu’elle ne « [s]’octroie le droit de penser à des œuvres longues. » De celles qu’on va voir au théâtre.
En mouvement
Alors que la crise sanitaire la fige dans un interminable ennui, l’émission « Culture Box » lui propose un enregistrement, la veille pour le lendemain. Évidemmentelle accepte et se met en mouvement. Naît en une nuit une pièce de deux minutes trente sur fond de Vivaldi où elle s’autorise, enfin, à dire « ce en quoi [elle] croit ».Un succès. Une deuxième puis une troisième capsule - « toujours du court, du vidéo, du posté, mais en plus créatif » voient le jour. Puis en juin 2021, elle concourt aux Sobanova Dance Awards avec Les Vivaldines, première vraie narration de huit minutes par laquelle elle veut faire entendre « la voix oubliée des artistes pendant la crise ». Sa victoire lui vaut, avec sa compagnie Bahia fondée en 2019, de nombreuses résidences : centre chorégraphique national de Créteil, à l’invitation de Mourad Merzouki, théâtre de La Villette ; La Chapelle d’Annonay, chez Abou Lagraa... « Naïvement je croyais qu’il suffisait d’avoir de l’argent pour créer des spectacles, sourit-elle. En fait ce sont des rencontres qui en amènent d’autres, qui t’amènent elles-mêmes à une connaissance de plus en plus globale et de plus en plus nette. »
Veine créatrice
Les Vivaldines ont aussi tapé dans l’œil de Carolyn Occelli, nouvelle directrice du théâtre Jean-Vilar, qui la prend Amalia sous son aile au sein du pôle Suresnes Cité Danse Connexions. Un « cadeau du ciel », dit-elle. Elle accède à une coproduction, à des locaux de répétition et à un soutien global jusqu’à accoucher de ces Affranchies, indissociables de ce qui les a précédées. « Les Vivaldines, nées du confinement, étaient un coup de gueule sur cette obligation de ne plus pouvoir être et faire ce qu’on est. Avec Les Affranchies, j’ai voulu creuser ce sillon en mettant de côté le Covid. » Un spectacle à l’esthétique hybride, à l’image du festival suresnois, dont la bande-son alterne le jazz, l’électro et Vivaldi, encore lui. En cédant à la puissance de ses cordes et aux « nuances d’énergie » de ses Saisons, elle écouté la voix de la liberté. « J’ai trouvé ma veine créatrice au fur et à mesure mais je pense que si j’avais eu un parcours plus “académique”, j’aurais eu accès à ce métier plus tôt et, surtout, à cette vision du métier, estime-t-elle aujourd’hui. Il y a trop de gens talentueux qui écrivent des pièces courtes, comme je le faisais, sans savoir comment accéder à ce monde culturel. C’est une barrière qu’il va falloir enlever un jour. »