Ils dormaient en sous-sol, noyés dans la poussière et le grondement des réseaux urbains depuis des décennies. Vides de constructions, assurant des fonctions techniques ou logistiques, ils étaient ignorés. Après avoir longtemps poussé en hauteur le quartier d’affaire lorgne à présent vers ces volumes sous-dalle. « Si l’on s’y intéresse, c’est que le foncier devient rare. En accueillant des activités qui n’existent pas à Paris La Défense, ils peuvent être un puissant levier de développement du quartier, en faire un lieu de vie, explique Marie-Célie Guillaume, directrice générale de Paris La Défense, qui aurait dû effectuer cette annonce aux côtés de Patrick Devedjian, décédé en mars. C’est le premier sujet sur lequel il nous a fait travailler lors de la création de l’Établissement public de gestion de Paris La Défense (prédécesseur de Defacto puis de Paris La Défense NDLR), et le dernier sur lequel il se sera exprimé publiquement, rappelle-t-elle. Il nous aura fallu beaucoup de temps car le sujet est complexe et les lieux méconnus. Il n’y avait pas de plan ».
Si les projets Oxygen et Table Square avaient ouvert la voie à cette reconquête du sous-sol, la nouvelle opération est d’une envergure sans précédent. Est ciblé un gisement situé au cœur du quartier, entre la place de La Défense et la place Basse, comprenant quatre volumes articulés entre eux sur 20 000 m2, certains à fleur de dalle, d’autres profondément enfouis : la « Cathédrale » est le plus vaste, avec ses 5 000 m2 sous 6 à 11 mètres de plafond. Elle doit son nom à ses parois incurvées, telle une nef, et jouxte, à l’ouest, les Bassins et, à l’est, l’Atelier - qu’occupa dès les années 70 le sculpteur Moretti qui laissa un Monstre tapi dans le ventre du quartier – ainsi que le Fonds national d’art contemporain (Fnac), dont le déménagement est prévu en 2023.
Anneau monumental
Pour se projeter à la fois sur le long terme, en lien avec l’évolution du quartier, en révélant sans trop attendre ces « grottes » au public, et compte tenu de la complexité du site, Paris La Défense avait choisi la « méthode expérimentale » du dialogue compétitif. Sur les cinq cabinets d’architectes internationaux engagés, au bout d’un an d’échanges et d’ateliers, c’est l’agence belge Baukunst qui a été retenue. « Leur projet considére ces volumes dans leur environnement. Il crée une articulation entre le dessus et le dessous et s’inscrit dans une approche durable, tirant parti de l’existant et respectant l'identité des lieux », souligne Marie-Célie Guillaume. Les efforts de végétalisation de Baukunst ont aussi séduit l'établissement public.
« D’une certaine façon il s’agit de réécrire le quartier à partir de ses fondations et d’aller chercher une troisième dimension en plus de celles qu’on connaît », explique Adrien Verschuere, fondateur de Baukunst. À partir de plusieurs points névralgiques en surface, son projet installe des porosités, des contacts avec le sous-sol. Le plus emblématique d’entre eux sera l'anneau de quarante mètres de diamètre surplombant la place de la Statue et la fontaine Agam. D’abord promenade ou belvédère végétalisé, il plongera, de son grand escalier hélicoidal, vers les entrailles de la terre, jouant les puits de lumière. Autre liaison, au niveau de la place Basse, un oculus permettra de sonder les profondeurs et offrira une vue sur le Monstre de Moretti. Baukunst joue sur les porosités mais aussi sur la continuité entre les espaces. À terme, une promenade lumineuse doit traverser le site, telle un passage parisien, entre le hub Cœur transport et la place Basse, reliant entre eux des éléments aujourd'hui compartimentés.Enfin le long de la voie des Sculpteurs, actuellement enterrée, sera percée une grande « traverse » arborée, à la fois la poursuite du fil rouge souterrain et dernière émergence en surface. Elle répondra au futur parc urbain prévu par Paris La Défense sur l’esplanade.
Rendez-vous en 2022
Vingt millions d’euros doivent être investis dans la première phase du projet qui verra la réalisation de l’anneau et l’aménagement de 8 000 m2 sous-jacents au niveau de la Cathédrale et de l’Atelier. Cette proximité avec le Monstre donne sa première coloration, culturelle, à la programmation, qui sera aussi tournée, « de façon complémentaire à l’existant », vers les sports, avec des installations in-door, les loisirs et l’événementiel. Elle sera évolutive, s'adaptant aux besoins au fil du temps. Dernière particularité de ce projet hors norme, l’aménageur restera propriétaire et donc maître de ces espaces qu'il exploitera lui-même en lien avec ses partenaires.