Les six barques sont sagement alignées le long du ponton, prêtes à prendre le large. Ce modèle élégant, en vogue aussi à Versailles, peut accueillir jusqu’à cinq personnes – et un animal de compagnie. Le rameur s’installe entre le passager de l’étrave et les deux de la poupe – qui profitent confortablement du paysage depuis la banquette. Antoine, à l'embarquement, donne quelques conseils aux débutants. Puis les lourdes pelles en bois sont remises à l’eau. Enfin le jeune-homme détache les liens : « À tout à l’heure, bonne balade ! ». Les premiers mètres sont hésitants : il est assez contre-intuitif de progresser en tirant les rames vers soi, dos à la marche. Le cale-pied aide à prendre son impulsion. Les gestes doivent en outre être coordonnés ; les pelles entrer à quatre-vingt-dix degrés dans l’eau, sans trop plonger. Peu à peu l’allure se fait moins zigzagante et la rive, avec sa haie d’honneur de peupliers, s’éloigne. Le long des perrés, quelques pêcheurs sont installés, dont il faut éviter les lignes. Autour du plan d’eau, poussettes, adeptes de la marche nordique, joggers, cyclistes se livrent à une ronde incessante, faisant doucement crisser le gravier. D’autres embarcations ont pris le large, mettant sur l’eau des rires et des éclaboussures et comme un air de fête nautique.
Rumeur du monde
À mi-parcours, le large couloir d’eau dessiné par Le Nôtre sur un axe nord sud s’ouvre, d’un côté sur le bassin de l’Octogone et son jet d’eau majestueux, de l’autre sur la plaine de Châtenay et le pavillon de Hanovre. C'est la plus belle vue depuis le plan d'eau. Au milieu de ce carrefour des Grandes Eaux, il est tentant d'abandonner les rames pour se laisser dériver, en admirant l’onde ridée par la brise, piquetée de petits insectes, où se reflète le ciel. Des éclaircies font courir un sourire scintillant sur ce miroir d'eau. Pousser tout au bout du canal permet de croiser une famille de bernaches du Canada, tête noire oscillante, corps gris perle, dont les cris se mêlent à la rumeur de la promenade environnante. On se sent à la fois relié au parc et isolé de celui-ci par l’élément aquatique. Mais, pour peu d’avoir opté pour une demi-heure seulement de navigation, il faut penser à revenir. Un changement de capitaine - et de bras - est opéré avec précaution, la position debout nuisant à la stabilité de la nef. Le retour à l'embarcadère, un kilomètre plus loin, donne lieu à un premier « créneau » en barque, guidé par Antoine, le long du ponton. On remet pied à terre, les mains plus calleuses et riche de nouvelles sensations.
« On ne se dit pas que c’est “un truc pour touristes” »
Adam n'est pas peu fier d’avoir pris les rames pour mener sur l'eau sa maman et l’amie de celle-ci. « Je suis le taxi, le taxi de Tahiti, claironne-t-il euphorique en quittant sa barque. Venu de Fresnes, le trio a repéré le nouveau service la veille avant de revenir exprès le lendemain pour naviguer. Un scénario récurrent : « Léo a tellement aimé sa première balade qu’on est revenus avec son copain Abel. Les enfants sont ravis », raconte de son côté Sylvie, d’Antony. Le décor est idyllique. Sur l’eau, on est dans une petite bulle et on a une autre vision du parc. » Clémence, Sylvère et Amélie, de Montrouge se remettent, eux, de leur excursion autour d’un verre. « C’est une activité reposante, qui peut convenir à tous les publics, juge Clémence. L’embarcadère se fond dans le décor ; on ne se dit pas que c’est “un truc pour touristes” et il n’y a pas trop de barques en même temps sur l’eau. L’esprit du parc est respecté. »
La navigation ouverte au public jusqu’à l’automne
Le ponton en bois implanté par le Département au sud du Grand Canal permet de renouer avec des pratiques anciennes puisque la navigation est attestée sur les pièces d’eau dès le XVIIe siècle et, qu’Avant-guerre, on y canotait déjà. Les barques sont proposées à la location à partir de 13 h en semaine - 11 h le week-end - et jusqu’à 19 h, sans réservation. Les mineurs doivent être accompagnés d’un adulte. « Beaucoup de riverains attendaient cela depuis longtemps, constate le gérant Éric Canet, de la société Les Barques de Sceaux. On accueille un public très familial. » Les barques se prêtent aussi aux tête-à-tête romantiques. « Certains hommes un peu trop sûrs d’eux n’écoutent pas les consignes, résultat, une fois sur l’eau, ce ne sont pas eux qui s’en sortent le mieux. » Lancé en avril, ce service saisonnier devrait fonctionner jusqu’à fin septembre, au minimum. Accès par l’entrée de la Grenouillère - RER La Croix de Berny. Informations pratiques en cliquant sur ce lien.